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Coronavirus au Cameroun : quand des parents vendent leurs enfants pour avoir un peu d’argent

Dans son poème « Melancholia », tiré du recueil Les Contemplations publié en 1856, le poète Victor Hugo s’indignait contre le travail dur et pénible des enfants. Un travail qui, selon lui, « se sert d’un enfant ainsi que d’un outil » et qu’il compare à une « servitude infâme imposée à l’enfant ». Cette indignation, formulée déjà en 1856 n’est pas restée l’œuvre d’une époque ou d’un auteur isolé car le temps passant, bien d’institutions se sont levées pour s’opposer au travail des enfants. On le sait, l’Organisation Internationale du Travail, dans l’optique de se joindre à la lutte contre le travail des enfants, a décrété la journée du 12 juin de chaque année : « journée mondiale contre le travail des enfants ». Un décret venu renforcer d’autres réactions comme le sommet de l’enfant en 1990 ou encore la session spéciale de l’ONU sur l’enfance qui a décidé de consacrer un chapitre entier de son rapport final à la lutte contre le travail des enfants.

Quand on parle des enfants en contexte africain, on ne saurait ignorer le massacre des étudiants à Soweto en Afrique du Sud le 16 juin 1976 alors que ceux-ci ne revendiquaient, pacifiquement en plus, qu’une éducation de qualité pour eux. Ce massacre a conduit à l’adoption de la journée du 16 juin comme journée de l’enfant africain par l’OUA en 1991.
Le combat est collectif comme on peut le voir, car le travail des enfants est d’abord et avant tout une entorse faite à la bonne marche de l’humanité. Ce n’est en effet un secret pour personne que l’enfant est perçu comme le père de l’Homme et comme tel, constitue l’avenir des Nations. Ne dit-on d’ailleurs pas que la jeunesse est le fer de lance de la Nation ? Alors, si tel est le cas, le travail des enfants est à appréhender comme un problème qui concerne les communautés multiples et embrigade les avenirs de plusieurs enfants dans le monde. C’est dans cet esprit qu’en son article 32, la Convention internationale des droits de l’enfant stipule: « Les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social. »

Les textes sont donc nombreux qui interdisent le travail des enfants. Pourtant, sur le terrain et en contexte camerounais d’où nous écrivons ce billet, ce que l’on observe ne va que rarement dans la direction de la protection des enfants. Il est clair que depuis 2016, le Cameroun fait face à des crises multiformes, touchant au bien être complet de toute sa population, quoique l’opinion officielle se soit convaincu de ce qu’il ne s’agissait là que d’une crise anglophone. Dans cet espace délétère, où les bases régissant la vie en société se sont fragilisées, la venue de la pandémie de la COVID-19 se perçoit comme une once d’huile sur un incendie déjà difficile à contrôler.

Dans cette crise, les dégradations répétitives et suivies des conditions de vie des populations les poussent à développer à leur niveau des stratégies de résilience afin de pouvoir subsister dans un environnement dont la précarité n’est plus à démontrer. Dans un tel environnement, les rôles s’entremêlent, se perdent dans la brume et souvent, ou plutôt trop souvent, les enfants doivent devenir leurs propres parents pour ne pas mourir de faim.
Nous avons parlé de faim. Mais ce serait être de mauvaise foi que de nous octroyer la paternité de l’argument.

 

La vérité, selon la note de terrain, est que la plupart des enfants et des parents que nous avons rencontrés nous ont posé la même question : « On va manger quoi si on ne fait pas comme ça? » une autre question dans le même sens était régulièrement posée au sujet du con finement et du lavage des mains: << On va se confiner et manger quoi?>> ou encore :<<On veut bien se laver les mains mais où va-t-on trouver de l’eau propre quand on coupe l’eau tout le temps?>>
Voilà, en des mots simples, livrée toute la problématique qui se cache derrière la pratique du commerce par les enfants en cette période de COVID-19. Voilà pourquoi de l’aube au crépuscule, on voit défiler dans nos rues, nos gares routières, nos postes de péages, nos marchés, nos hôpitaux, nos carrefours et autres centres commerciaux, des innocents dont l’âge de la majorité n’excède pas 11 ans.
Voilà la raison du tableau triste des fillettes et des garçonnets croupissant sous le poids des marchandises, bravant le soleil, la pluie et désormais la contamination à la pandémie actuelle, alors même que la raison pour laquelle l’Etat a fermé les établissements scolaires était de confiner ces petits enfants pour mieux les protéger de la pandémie qui ne fait pas de cadeau.

Vous les voyez à longueur de journée, vendant à la criée qui des sucettes, qui des mangues et autres morceaux de cannes ou des beignets. Sont-ils seulement conscients du danger qu’ils encourent ? Rien n’est moins sûr. Car, beaucoup d’entre eux n’ont même pas le réflexe de mettre un cache-nez, quand bien même ils en auraient. Le constat que l’on fait sur le terrain est en effet que, ici, le port du cache-nez comme l’observance des autres mesures barrières, n’est point une priorité pour ces enfants. Cela peut sembler surprenant mais la vraie surprise est que beaucoup de ceux que nous avons interrogés ne semblent pas être conscients du danger que représente cette maladie Nulle surprise donc que Julios, un garçon interrogé nous ait confié que: << La maladie là tue seulement les Blancs>>.
On les voit jouer ensemble, se partager les friandises dans lesquelles ils mordent à tour de rôle, s’empoigner et même s’enlacer. Devant les clients, certains de ceux qui ont un cache-nez le baissent tout simplement, en faisant un « cache-menton », avant de parler.
Au-delà du risque de contamination, la végétation galopante de cette saison des pluies n’arrange pas plus les choses. Signalons qu’à l’ouest Cameroun par exemple, cette saison est celle où, les tiges de maïs arborent leur efflorescence mâle et avec le développement du feuillage, habillent la nature d’un paysage touffu qui offre un bon refuge aux criminels de tout genre. Ces petits enfants, sont donc exposés à chaque fois à des enlèvements, des viols et autre kidnapping.Sans compter qu’avec le développement des crimes rituels, des clients mal intentionnés puissent facilement les détourner pour fin de réalisation de leurs rituels. On se souvient en effet qu’à cette même période l’an dernier, un adepte des sociétés occultes avait tué un enfant dans le département des Bamboutos et, cela peut sembler curieux, avait consommé ses yeux pour parfaire son satanique rituel. Le manque à gagner est grand, surtout si l’on pose que beaucoup de ces enfants engagés dans le commerce ne rapportent pas grand-chose à la maison le soir, quand bien même ils ne se font pas agresser par des vandales qui arrachent leurs marchandises et leurs bourses avant de les violenter en prime.La crise sociale peut être convoquée pour justifier l’envoi des enfants dans la rue ou, pour user de métaphore, dans la gueule du loup. Mais la pauvreté ne saurait justifier que l’on sacrifie la vie et l’avenir des enfants innocents. L’enfance se doit d’être un moment d’épanouissement auréolé d’amour et de plaisir.Mais pour que cela soit réalisable, la société au complet doit faire des efforts.

Rihanno Mars

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