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LA SITUATION DES ENFANTS TRAVAILLEURS FACE À LA PANDÉMIE DU COVID-19

Comme il est coutume depuis 3 mois environ, le jeune Emmanuel (10 ans)[i] se rend à l’entrepôt pour prendre sa brouette d’avocats à vendre au courant de la journée. Dès 7 heures du matin, il se presse d’occuper une bonne place sur le trottoir afin de mieux exposer ses produits aux multiples passants du carrefour de l’entrée Simbock qui est devenu un espace à forte densité de personnes depuis quelques années. Ce point géographique attire de plus en plus de commerçants de l’économie informelle offrant des produits variés tous les jours. La crise du Covid-19 n’a pas freiné l’élan de ces commerçants qui se caractérisent de plus en plus par leur bas âge.

En effet, depuis l’apparition des premiers cas de Covid-19 en Mars 2020, ce carrefour populeux de Yaoundé se voit remplir par des enfants exerçant une activité commerciale pour subvenir aux besoins de leurs familles. Le quotidien de ces enfants au-delà des apparences, est un cocktail de dangers pouvant nuire gravement à leur avenir, mettant en lumière les potentiels impacts du Covid-19 sur la santé et la sécurité des enfants travaillant dans les rues des capitales africaines.
I- Le travail des enfants dans les rues : de quoi s’agit-il ? 
Selon l’Organisation internationale du travail, le travail des enfants regroupe l’ensemble des activités qui privent les enfants de leur enfance, de leur potentiel et de leur dignité, et nuisent à leur scolarité, santé, développement physique et mental.[1] Environ 152 millions d’enfants (entre 5 – 14 ans) travaillent dans le monde et plus de la moitié d’entre eux seraient victimes des pires formes de travail (esclavage, utilisation dans les conflits armés, prostitution, tri des déchets, trafic de stupéfiants, travail dans les mines…).[2] L’OIT distingue le travail de l’enfant compris comme toute forme de participation libre à une activité économique n’entravant pas son éducation et sa santé; diffèrent de toute forme d’exploitation ou de d’activité (libre ou forcé) pouvant être préjudiciable au développement harmonieux de l’enfant. Vu dans ce sens, il est considéré comme non conforme le travail des enfants qui de gré ou de force sont livrés à toute forme d’activité pouvant nuire à leur santé, à leur études et de surcroit à leur croissance éthique, morale, physique, intellectuelle et sociale.
En échangeant avec le jeune Emmanuel et quelques enfants travaillant au carrefour Entrée Simbock, j’apprenais que la plupart d’entre eux se livre à une activité économique à longueur de journée par choix sans contrainte particulière. Conscients très tôt de la nécessité de se rendre utiles pour leurs familles, ces enfants entreprennent des activités qu’ils exercent de manière autonome dans le but d’assurer leur scolarité pour la prochaine rentrée scolaire et pour subvenir aux besoins de se vêtir et de se faire plaisir sans pour autant solliciter les ressources parentales. Si cette catégorie d’enfants n’obéit pas de manière stricto sensu à la définition de l’OIT, les dangers créés par la propagation du Covid-19 menacent sérieusement l’avenir de ces enfants et de leurs familles.
II- Le travail des enfants dans les rues : Potentiel vecteur de propagation du Covid-19 
Bien que la problématique du travail infantile ait diminué au niveau mondial[3], il demeure un obstacle important à l’éducation et à la santé des enfants principalement dans les pays africains. La pandémie de la Covid-19 n’est pas pour simplifier la situation, au contraire. Depuis l’assouplissement des mesures restrictives de lutte contre le coronavirus au Cameroun, s’il existe une chose que les enfants travaillant dans les rues de l’Entrée Simbock ont en commun en plus du petit commerce, c’est le non-respect des mesures barrières notamment le port du masque et la distanciation sociale. Ce constat se justifie par l’idée largement véhiculé au sein de la population selon laquelle les enfants ne meurent pas de la Covid-19 qui est « une maladie des vieux riches ». Cette idée s’ajoutant au scepticisme généralisé du réel danger que peut présenter la pandémie, est ancrée dans la pensée des populations de Simbock et Mendong[4] à tel point où la maladie est devenue un fait banalisé. Les masques suspendus au cou de ces enfants ont pour but unique d’éviter les contrôles de police.
La récente ouverture par le Ministre de la Santé d’un centre de prélèvement à Simbock dénote de l’identification de plusieurs foyers à forte densité de contamination[5] dans ce quartier populaire. Même si les statistiques montrent que très peu d’enfants sont testés positifs à la Covid-19, les études montrent qu’ils peuvent être des vecteurs passifs du virus. Donc en travaillant dans la rue en longueur de journée sans aucune forme de protection, nul doute que les enfants soient exposés de manière permanente à la maladie surtout que plusieurs cas de contamination ont été détectés dans cette zone en l’espace de deux mois. Si les symptômes de la maladie sont très peu perceptibles auprès de ces enfants, le constat est diffèrent chez leurs parents très peu présents au carrefour pour des raisons diverses. Selon le témoignage de certains de ces enfants, au moins un de leurs parents présente des signes de malaises laissant croire aux symptômes du Covid – 19.
Bien qu’il n’existe pas encore d’études sur les vecteurs de transmission du virus au Cameroun, le non-respect (ou de façon limitée) des mesures barrières des enfants travaillant dans la rue peut être une cause de propagation rapide de la pandémie au Cameroun. De ce fait, l’augmentation de décès lié à la Covid-19 au sein du groupe d’âge adulte, rendra ces enfants orphelins, plus vulnérables à toute forme d’exploitation et d’insécurité.
 
III- Conséquence du Covid-19 sur la sécurité des enfants 
En plus du jeune Emmanuel, j’ai fait la connaissance d’Abega (12 ans) de manière fortuite. Vendeur d’œufs bouillis au carrefour, on a découvert dans son sac à dos de la drogue « Ngué » qui lui a valu une bastonnade publique. Prit de peur, le petit Abega nous racontait en larmes, qu’il a été chargé par des inconnus de déposer « la marchandise » sous une vielle voiture abandonnée dans une des ruelles de l’Entrée Simbock contre une somme de 1000 francs CFA. A l’instar d’Abega, depuis quelques mois, plusieurs autres enfants ont été pris en flagrant délit de vol ou de trafic illicite de drogue dans cette zone populeuse de Yaoundé. La pauvreté exacerbée et le manque d’emplois décents contraignent de plus en plus d’enfants à accepter des taches dangereuses au détriment de leur vie.
En effet, la crise de la Covid – 19 a provoqué une profonde récession financière, accentué les inégalités sociales et a provoqué les pertes d’emplois de milliers de personnes. Cette situation précaire a considérablement fragilisé les familles. Recrutés contre une somme d’argent dérisoire ou souvent forcés, ces enfants travaillant dans les rues de Yaoundé sont généralement les premières victimes d’exploitation abusive par des personnes mal intentionnées, pour commettre des vols ou pour faire des transactions illicites de drogue en plus des petits commerces pour lesquelles ils se sont engagés.
Dans des circonstances pareilles, la sécurité de ces enfants est mise en péril à tout moment car faisant face parfois à la justice populaire pour les moins chanceux. Pour ceux qui sont remis aux mains de la Police, ils intègrent un système judiciaire très peu adapté aux réalités des enfants, compromettant par la même occasion leur avenir.
Face à la circonstance préoccupante qu’impose le Covid-19 touchant toutes les couches de la société, il est indispensable d’accorder un accent particulier sur la situation des enfants surtout qui travaillent dans les rues. Une meilleure gestion de la pandémie au Cameroun, passerait également par protection sociale adéquate des populations. Elle implique l’encadrement des travailleurs, des PME/TPE, la promotion des investissements et des opportunités économiques, et la mise sur pied d’une assurance maladie pour les plus défavorisés.
En outre, parce qu’ils sont des maillons importants de notre pays, il est nécessaire pour le gouvernement et les institutions nationales et internationales en charge de la promotion du droit de l’enfant, de prendre des mesures effectives pour protéger les enfants travaillant dans les rues. L’occasion nous est donnée d’améliorer la qualité d’offre de l’éducation publique et la qualité du système judiciaire adapté aux enfants.
Néanmoins, il revient à chaque adulte d’assurer efficacement sa responsabilité de protéger les enfants contre toute forme d’exploitation tout en favorisant leur croissance harmonieuse, les préservant des activités susceptibles de nuire à leur éducation et à leur santé.

tchiengue donald

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