L’enfance est un territoire sacré, où la douleur des autres ressemble à un rêve brumeux, quelque chose que l’on croit comprendre sans vraiment en saisir l’essence.
À 9 ans, j’ai accompagné ma meilleure amie dans l’épreuve de la perte de son père. Nous étions en classe de CM2, encore enveloppées dans l’innocence de l’enfance. Nous avons joué ensemble au milieu des larmes des adultes, incapables de comprendre l’ampleur de la douleur. Inconscientes du gouffre qui s’ouvrait sous ses pieds. Pour nous, c’était une journée comme les autres, une journée d’enfance.
À cet âge, la perte d’un être cher ne signifiait pour moi qu’une épreuve étrangère, une réalité que je croyais saisir, mais que je n’avais pas encore vécue. Ce n’est que le 9 mai 2020, que ce voile d’innocence s’est déchiré et que le sens de cette douleur m’a véritablement frappé.
En vérité, ce jour fatidique était le point culminant d’une longue descente dans l’inconnu, un voyage commencé en septembre 2019, lorsque mon père, mon héros, a été terrassé par un coma diabétique. Ce soir-là, j’ai vu pour la première fois la faiblesse s’insinuer dans ses traits. Cet homme, fort et invincible à mes yeux depuis 20 ans, était soudainement vulnérable, à la merci d’une maladie implacable. Le voir si fragile, se battant pour sa vie, m’a fait grandir en un instant. Je devais alors être plus que la petite fille insouciante que j’avais été. Je devais être forte pour lui, même si je ne comprenais pas encore la gravité de la situation.
Mon père, dans sa sagesse silencieuse, essayait de me protéger de sa souffrance. Quand il a ouvert les yeux, son regard cherchait des réponses. Il m’avait demandé, « Je suis où ? Qu’est-ce que tu fais ici ? Qui va ouvrir le dépôt si tu es à l’hôpital avec moi ? ». Il voulait que je m’éloigne, pour que je ne voie pas sa faiblesse. Mais je ne comprenais pas encore. Je pensais naïvement qu’il s’inquiétait pour le travail, alors que tout ce qu’il souhaitait, c’était préserver l’image de l’homme fort que j’avais toujours connue. Il voulait me protéger de sa vulnérabilité.
Les mois qui ont suivi ont été un mélange de peur, d’espoir, et de ce qui ressemblait à une fin inévitable. En avril 2020, après un AVC, mon père a été hospitalisé, et cette fois-ci, les médecins ont suspecté la Covid-19. Nous étions en pleine pandémie, et le simple fait de le voir était devenu un luxe interdit. Je me cachais pour l’apercevoir à travers une fenêtre, désespérée de lui dire que tout irait bien, mais ses mots, qui résonnent encore en moi, me coupaient chaque fois : « Rentre à la maison, je ne veux pas te voir ici. » C’était comme s’il savait que notre temps ensemble s’amenuisait, comme s’il voulait m’épargner la douleur de le voir diminuer, jour après jour. Voir cet homme autrefois si plein de vie, maintenant paralysé et diminué, m’avait brisé.
Le 8 mai 2020, une semaine après sa sortie d’hôpital, il a demandé à ma mère de le ramener au village pour se ressourcer. Je n’avais pas réalisé qu’il se préparait à partir, pour de bon. Le lendemain matin, mes frères et moi l’avons massé doucement avant son départ, pleins d’espoir qu’il guérirait. Mais je pense qu’au fond de lui, il savait que c’était un adieu.
La route vers Baham a été parsemée d’embûches. La voiture s’est arrêtée trois fois, comme si elle-même savait ce qui nous attendait. À chaque pause, c’est lui, mon père affaibli, qui donnait les instructions pour reprendre la route. Et finalement, ils sont arrivés… Arrivés pour son dernier souffle, près de la tombe de sa mère, où il voulait reposer.
L’appel que nous attendions pour nous dire qu’ils étaient arrivés m’a annoncé sa mort. À ce moment précis, ma vie a basculé. J’étais là, perdue dans un océan de chagrin. Je me demandais comment le monde pouvait continuer à tourner alors que mon père n’était plus là.
Pendant deux semaines, nous avons préparé ses funérailles, mais je ne pouvais pas croire qu’il était parti. Je me disais que tant que je ne l’aurais pas vu, ce ne serait pas réel. C’est le 22 mai 2020, lors de la levée du corps, que j’ai enfin accepté l’inacceptable. Ce jour-là, j’ai compris combien mon père m’aimait. Il m’avait protégé jusqu’au bout, pour m’épargner de la douleur de le voir partir.
Perdre mon père, c’était perdre une partie de moi, celle qui connaissait le vrai bonheur. Depuis ce jour, les obstacles, les moments de doute, me ramènent tous à l’absence de cet homme qui savait toujours comment me guider. Son départ m’a laissé avec une blessure qui ne guérira jamais vraiment, une douleur qui devient une partie de moi.
L’homme qui savait prendre soin de moi, qui avait toujours une réponse à mes questions, n’est plus, et pourtant, il est partout, dans chaque souvenir, chaque moment de ma vie. L’amour de mon père, un amour si fort qu’il m’accompagne toujours, même dans l’absence.
On dit que pour comprendre vraiment la douleur des autres, il faut l’avoir vécue soi-même. Aujourd’hui, malgré le chagrin, je comprends désormais ce que signifie vraiment perdre un être cher, On n’en guérit pas, on apprend à vivre avec. Et cette leçon me donne la force de continuer, de vivre avec sa mémoire à mes côtés.
Je vis pour nous deux maintenant. Pour l’homme qui m’a appris ce que c’est que d’aimer sans réserve, et qui, même dans la mort, continue de me montrer le chemin.
À ceux qui traversent cette épreuve, je vous dis : courage. La douleur ne disparaît jamais, mais elle devient une partie de nous, un souvenir de l’amour que nous avons eu la chance de connaître.
Si seulement j’avais su que ce matin du 09 Mai était le dernier et la première fois que je me sentirai seule dans ce monde. Si j’avais su, je l’aurais plus câliné et lui aurais dit que je l’aime plus qu’il ne pourra jamais l’imaginer.
JE T’AIME MON UNIQUE AMOUR.
KLOVE KAMDEM.
(article a été rédigé par Klove KAMDEM dans le cadre de la campagne initiée par l’Association des Blogueurs du Cameroun en prélude à la célébration de la journée du blogging.)