Profitant de la cessation temporaire des cours notamment dans les classes intermédiaires, ils commercialisent ces produits dans des espaces publics, dans le but de se faire un peu de sous à l’effet de préparer la prochaine rentrée scolaire.
Par Florentin Ndatewouo
Nombre d’enfants peinent à se séparer des premiers cris de détresse émis depuis le sein maternel. Cette prise de conscience de la brutalité de la vie se traduit encore aujourd’hui de par leur présence quotidienne au sein des espaces publics, à la quête dune meilleure existence. A l’entrée principale du Centre hospitalier universitaire de Yaoundé (Chu), les passagers à peine sortis des véhicules sont accueillis par les cris d’un enfant qui leur propose sa marchandise. «Cache-nez ! Cachez nez !» Scande-t-il. « A combien vends-tu tes cache-nez ? » demande un passant. Le jeune Dylan Awono de répondre : « il y a les cache-nez de 500 Fcfa, et ceux qui coûtent 200 Fcfa. » Vêtu dun mayo de couleur rouge, Dylan Awono expose sa marchandise sur une baguette d’aluminium avec laquelle il se balade le long de l’entrée de cet établissement hospitalier. « Le cache-nez de 500 Fcfa possède des designs que l’on ne trouve pas sur ceux de 200 Fcfa. » De plus, à la différence de cache-nez vendus à hauteur de 200 Fcfa, ces cache-nez sont protégés à l’aide d’emballages transparents.
« Je suis dans une classe intermédiaire. Nos cours ont été suspendus en raison de la crise sanitaire du corona virus. J’ai décidé d’utiliser mon temps libre pour vendre les cache-nez. Cela me permet d’aider mes parents à préparer la rentrée scolaire prochaine »
Elève en classe de quatrième dans un lycée de la place, Dylan commercialise les cache-nez tout au long de la semaine. « Je suis dans une classe intermédiaire. Nos cours ont été suspendus en raison de la crise sanitaire du corona virus. J’ai décidé d’utiliser mon temps libre pour vendre les cache-nez. Cela me permet d’aider mes parents à préparer la rentrée scolaire prochaine », fait savoir Dylan. Il bénéficie de la compagnie de ses congénères qui exercent la même activité que lui.
Le 13 juin dernier, aux environs de 14h, il reçoit un client. Ce denier lui remet un montant de 500 Fcfa et sollicite un cache-nez au prix de 200 Fcfa. Dylan ne dispose pas de monnaie d’échange. Il recourt à son camarade Arsène lorsqu’il l’aperçoit de l’autre bord de la route. Ceci, dans l’espoir d’en trouver et rembourser son client. Peine perdu. Dylan devra quémander la patience du client, pour ensuite faufiler sous un soleil ardent entre véhicules et motocycles en déplacement permanent, dans l’espoir de trouver le précieux sésame. Quelques minutes plus tard, il retourne soulagé, auprès de son client à qui il remet sereinement le reliquat. La difficulté liée à la trouvaille de la monnaie déchange est le quotidien de cet enfant âgé de 10 ans. Comme lui, nombre denfants sont présents dans les espaces publics où ils pratiquent le petit commerce.
« 40% de la population vit dans la pauvreté, le taux net de scolarisation est de 22% au préscolaire, de 80% au primaire et de 38% au secondaire. Le taux dabandon scolaire est de 44%. »
Ventes d’emballages et sacs plastiques, condiments, jus de fruit, sont entre autres produits, proposés par des enfants au marché du Mfoundi. A côté de ces produits, cette tranche d’âge excelle dans une prestation de service : le transport des marchandises des clients à l’aide des brouettes. Lorsque leur service est requis, les enfants accompagnent leur client à travers le marché. Ils transportent leurs articles depuis les lieux d’achat jusqu’au lieu du stationnement des véhicules. Ceci, moyennant la somme qui varie entre 100 Fcfa et 300 Fcfa, selon le degré de générosité du client.
Il n’existe pas de données actualisées sur la pratique du petit commerce par les enfants au Cameroun. Cependant, l’état des lieux sur la protection de l’enfance présenté sur le site internet du ministère des affaires sociales indique que « 40% de la population vit dans la pauvreté, le taux net de scolarisation est de 22% au préscolaire, de 80% au primaire et de 38% au secondaire. Le taux dabandon scolaire est de 44%. » Ces données proviennent en partie du troisième recensement général de la population (2010), l’Enquête camerounaise sur les ménages (Ecam I, Ecam II, Ecam III) ; le rapport national sur le travail des enfants (2008).
L’article 86 de la loi du 14 août 1992 portant code du travail dispose «( 1) Les enfants ne peuvent être employés dans aucune entreprise, même comme apprentis, avant l’âge de quatorze ans, sauf dérogation accordée par arrêté du ministre chargé du Travail, compte tenu des circonstances locales et des tâches qui peuvent leur être demandées. »
La pratique du petit commerce par les enfants dans la rue illustre un déficit de protection de l’enfance. Au Cameroun, cette responsabilité relève directement des ministères des affaires sociales (Minas), et de la Promotion de la femme et de la famille (Minproff). L’article 1 (2) du décret du 25 mai 2005 portant organisation du ministère des Affaires sociales dispose : « Le Ministre des Affaires Sociales est responsable de l’élaboration, de la mise en œuvre et de l’évaluation de la politique du gouvernement en matière de prévention et d’assistance sociales, ainsi que de la protection sociale de l’individu. A ce titre, il est chargé :
– de la protection sociale de l’enfance, des personnes âgées et des handicapés;
– de la prévention et du traitement de la délinquance juvénile et de l’inadaptation sociale;
– de la facilitation de la réinsertion sociale et de la lutte contre les exclusions… »
De plus, le décret du 29 mars 2005 portant organisation du ministère de la Promotion de la femme et de la famille prévoit en son article 33 la création d’un service de l’amélioration des conditions de vie. Ledit service est chargé de :
« – l’élaboration et de la mise en œuvre des programmes d’appui à l’accès aux services sociaux de base ;
– l’élaboration et de la mise en œuvre des mesures favorisant l’amélioration du cadre de vie des familles ;
– l’élaboration et du suivi des programmes et mesures visant l’amélioration de la nutrition et de la sécurité alimentaire au sein des familles. »
Pour faire face à la permanence du travail des enfants dans la rue, le gouvernement camerounais à travers le ministère des Affaires sociales dit avoir « ratifié la quasi-totalité des instruments juridiques de protection des enfants. » Il s’agit, entre autres, de
la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, et ses protocoles facultatifs ;
la charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant ;
la Convention n°138 sur l’âge minimum dadmission à l’emploi ;
la Convention n° 182 sur les pires formes de travail des enfants.
Ce 14 juin, le ministère de la Protection de la femme et de la famille a envoyé un message de sensibilisation via les opérateurs de téléphonie mobiles aux abonnés : « Evitons d’envoyer les enfants faire des petits commerces, des courses, même auprès du boutiquier du quartier afin de les protéger du Covid-19 et dautres dangers. »
La journée de l’enfant africain se célèbre mardi 16 juin prochain sous le thème « l’accès à une justice adaptée aux enfants en Afrique. » Une occasion au cours de laquelle, la situation des enfants qui continuent de faire du petit commerce dans la rue pourrait également donner matière à réflexion.